Lucie Patarozzi s’inspire du climat allégorique, de la
couleur poétique propre à la mythologie grecque. Elle réalise des volumes et
des installations en textiles, rayonnants de simplicité. Elle s’occupe ainsi à
rendre le mystère de la légende attrayant comme un moyen de tendre un voile
d’onirisme entre les mondes et de suspendre le temps. La candeur indicible
émanant de ses productions décolle du récit classique. Elle est emportée
ailleurs, aux frontières du ressenti, dérivant du coté des tropiques de
l’affect, du percept et autres terres d’asile de l’art. Le pouvoir exorcisant
de l’expression, le rituel sacré de l’acte créateur provoque un dépassement de
soi, et ainsi l’œuvre prend son ampleur, son envol et une intensité sauvage,
autonome… La création est comme l’idée
d’un bon cap à maintenir, avec pour conjurer le mauvais œil un étendard hissé à
tout horizon confondu !
Médusa en trois temps - 2012 - photographie de Vina Flore Hernandez - copy right 2013 |
Comme
dans une pièce de tragédie classique, l’espace est composé de trois mouvements
de danse : Les Médusées, Les Serpentines, les Funestes. Ces trois sœurs, Medusa, Euryale et Sthéno sont des
êtres fantastiques, des perversions malfaisantes, des créatures envoûtantes,
repoussantes, ambigües. L’artiste s’infiltre prudemment sur le terrain de
l’ontologie des icônes populaires et de la complexité de leur dualité,
repoussant les limites de leur apparente simplicité, de leur binaire
constitution. Des fils s’entremêlent harmonieusement, des pans fluides se
soulèvent périodiquement, les étoffes sont déposées toutes rutilantes. Il
s’agit d’un univers féroce, occulte, obscur : les abysses impénétrables
des Gorgones. Egalement un montage sonore est diffusé en boucle pour ainsi
accompagner le contexte de la danse macabre.
Les Médusées - 2012 - photographie de Vina Flore Hernandez - copyright 2013 |
Cette série de pièces Les
Médusées mise en volume a une picturalité délicatement fascinante, une aura
d’une apparence vaporeuse et à la fois un insondable mutisme intrigant. Cela
nous embarque dans un état de trouble baigné de songes frémissants. S’agit-il
d’une flore marine, d’un minéral immobile, d’un innommable invertébré ?
Des fibres sépia s’enroulent inexorablement au cœur de la
matrice adipeuse ; des lignes fluides bleu jade se croisent
invariablement selon une logique interne inquiétante ; un mouvement
couleur glauque bourgeonne d’artères hirsutes ; un entrelacement de germes
écorchés, de terminaisons nerveuses et de nervures indigo : le nœud
stratégique comme une bride chatoyante. Lucie Patarozzi caractérise son
travail ainsi: « Ces formes
organiques, animales se trouvant pétrifiées, représentent un mouvement devenu
fixe, une vie figée ».
Les Médusées - 2012 - photographie de Vina Flore Hernandez - copyright 2013 |
Dans Les Serpentines l’installation
est plus imposante spatialement. Les sérigraphies fluides et aériennes flottent
amplement comme de grandes surfaces mobiles, soumises aux caprices des
éléments. Les motifs se développent sur le médium scintillant. Ils prolifèrent
progressivement sur les parcelles de soie et constellent naturellement la fibre
avec une persistance toute parcimonieuse ! Les motifs évoquent le monde de
la nature, les cycles du cosmos, la transformation de la matière, la
métamorphose du vivant, les étapes de la décomposition, l’odeur forte de
l’humus, la photosynthèse organique: un envahissement
« bactériologique » tout en nuances latentes et en dégradés
d’intentions.
Les Serpentines - 2012 - photographie de Vina Flore Hernandez - copyright 2013 |
Ainsi la nature fait son œuvre irrésistiblement, elle étire
ses filets de treillis, elle étale ses empreintes musquées, elle propage ses
volutes capiteuses. Les Serpentines posent leurs langues amères,
leurs lèvres bleues, leurs griffes fourchues, le minois froid sur l’étoffe immaculée.
Les « Solides», les « Souples», les « Sifflantes» asphyxient
ainsi le nid satiné. Ses motifs répétés transpirent l’écaille et ils sont la
preuve d’une mutation sans appel. Le danger à venir s’anime silencieusement...
Un passage à l’acte s’annonce irréversiblement.
Les Serpentines - 2012 - photographie de Vina Flore Hernandez - copyright 2013 |
Enfin dans Les Funestes, la stratégie impitoyable
arrive à son terme, l’exécution sommaire a eu lieu. La soie est maculée de
stigmates écarlates, zébrée de poisseux vermeils et coagulante de fuchsia
ténébreux. Le drap souillé comme une preuve indélébile du drame passé, de
l’acte embrassé, du supplice possédé… Ainsi cette installation réalisée à la
grandeur tragique de l’horreur, une puissance belliqueuse propre à la légende,
une magnificence théâtrale. Ces ingrédients constituent un moteur lyrique à
l’intrigue renouant avec le sens du merveilleux, les qualités romanesques des
contes d’autrefois de sa contemporaine reconstitution.
Les Funestes - 2012 - photographie de Vina Flore Hernandez - copyright 2013 |
Peut-être s’agit-il d’une proposition de ranimer la
réalité du mythe dans une évocation plus personnelle? Eventuellement, on peut
parler d’une émotion moins codifiée, plus intuitive loin d’une intrigue
attendue, libérée des carcans de l’intelligibilité et des clés de l’héritage
culturel… Est-ce de l’ordre de la beauté de l’archaïsme, la valeur du
monstrueux, la visibilité du surnaturel, le sens du sacrifice, la leçon de la
violence, le dépoussiérage de reliques magiques et autres suaires sanguinolents?
Persée, usant d’ingéniosité réussit à tuer Médusa en la
décapitant et de son sang, jaillit Pégasse, le cheval ailé, le symbole de
l’art, l’élévation par la beauté.
Nicolas Savignat
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