Humeur anonyme, l’esprit vagabond…
(seconde partie) par Nicolas Savignat
William Eggleston (1939-), Untitled, n.d, from the |
Les
photographes dit «naturalistes» sont des voyageurs aguerris. Ils partent à la
recherche de l’instant t, du motif a, d’une situation x, y, z… A même le
terrain, ils font feu de tout bois au gré des épisodes traversés, des obstacles
rencontrés, des souvenirs rapportés. Il s’agit d’une course poursuite du vivant
ou bien éventuellement d’un corps à corps avec l’existence. Ils sont piqués de
la fièvre incurable de la curiosité, d’une soif intarissable de découverte.
Leurs ambitions créatrices, leurs aspirations morales, leurs intentions esthétiques
modèlent une mémoire à échelle humaine, tracent les grands traits d’une histoire
familière, ébauchent la silhouette d’une émotion commune. On peut les définir
comme des aventuriers du présent, des explorateurs esthètes, des artistes mordus…
se nourrissant de la réalité du banal, s’enivrant avec les instants passagers,
l’essence du mythe ordinaire… de surcroît la nostalgie rétroactive ?
William Eggleston (1939-) est un pionnier
américain en matière de photographie couleur. Il immortalise sa vie
quotidienne, son entourage proche, les paysages ruraux, la réalité urbaine… Il
est comme un témoin des décennies des années soixante, soixante-dix, des nouvelles
générations, de la société en mutation : la middle class ascendante, les
banlieues peuplées de provinciaux, les espace sauvages reculés ; la minorité
moins visible, les classes populaires, les prolétaires, les immigrés, les
fonctionnaires, les marginaux … tous les acteurs de la société postmoderne. Il
partage sa réflexion étonnée du monde, son observation scrupuleuse de la vie en
compagnie de sa famille, ses amis, sa tribu, ses proches.
William Eggleston, Untitled ( |
A la fantaisie des rencontres, au cours
de voyages, à la faveur des opportunités ; il s’inspire de la matière
vivante de la vie de tous les jours : soirées de gala, réunions de famille, fêtes
nationales, visites à l’hippodrome, cérémonies funéraires, passages aux
urinoirs publics, vagabondages nocturnes, randonnées pédestres, apéros improvisés
sur le bitume, casse-dalles dans les fast-foods, pintes basculées dans les bars
clandestins, repas dominicaux chez la voisine quinquagénaire, détours aux peep-shows,
rodéos de voitures customisées…
William Eggleston,
|
Les lieux fréquentés, les objets
déterminés sont donc précis, identifiables, invariables et paradoxalement à la fois anonymes, communs,
stéréotypés : bretelle d’autoroute, plaine d’agriculture intensive, lisière
de forêt, épicerie de nuit entre chien et loup, mine à ciel ouvert, double voie
ferrée, impasse sordide, rétroviseur éclaté, réclames publicitaires, boites aux
lettres insignifiantes, guirlandes clignotantes, rocking chair dans une
véranda, poteaux télégraphiques, salle de bain sordide, miroir embué, niche de
chien, fenêtre condamnée, etc.
William Eggleston, Untitled
(Flowering Field), 1978
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William Eggleston, The
Democratic
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Pour donner de l’intensité aux détails,
de la consistance à ses choix, William Eggleston utilise une technique
d’impression spéciale. Celle-ci est utilisée également par la publicité. Il
s’agit du «dye-transfert». Ce moyen donne une qualité d’encre inégalée et une
saturation de couleur optimale. Ainsi les images prennent une force picturale
profonde : coucher de soleil d’un framboise cramoisi, macédoine de légumes
d’une luminosité éclatante, plafond d’un
backroom rouge pétard, flaque d’eau bleu électrique, milles scintillements
émeraudes, reflets rutilants d’indigo, pourpre, cassis, d’outremer profond…
Finalement à battre le pavé des rues de
la Nouvelle-Orléans, à s’infiltrer dans les propriétés en Caroline du Nord, à
rôder dans le désert du Chihuahua, à se confondre avec l’ombre des montagnes
Appalaches de Terre-Neuve jusqu’en Alabama… Il en résulte une portée puissante,
une dimension grande, un spectre élargi du monde ; transcendant une simple
valeur ethnologique d’un détail archivé au rayon documentation ! Ces photographes
visionnaires créent des correspondances, de l’interactivité, des affinités
entre les gens, les objets, les lieux... il en résulte une grande fresque
sociale, un éventail de visions embrassées, une galerie de personnages
bigarrés… Il s’agit d’une investigation discrète, d’une démarche interrogative,
d’une entreprise prudente ; un dépaysement programmé aux lendemains inconnus, à
l’issue facultative… une désorientation fringante, de petites tranches de vie…
du corned-beef en rab, du burritos et autres sodas au libre-service !
Nicolas Savignat
William Eggleston, Untitled
Tricycleand,
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