A l'aube du repos, l'esprit épuisé ne peut pourtant que puiser dans l'espoir de la retraite ascète. Comme les diurnes aux canines sanguines, c'est dirigé par le radar que l'on part. Il faut prendre garde à ne pas se retourner, pour ne pas regretter d'abandonner ce que l'on a laissé, ce sera bien là au retour. Et si c'est laissé, c'est aussi qu'il n'était pas nécessaire de le saisir, le conserver. Il faut voyager léger, la pensée lourde pèse déjà, elle fait traîner le pas du marcheur.
La perspective du repos
permet d'appuyer les pas, de repousser le sol sous le pied, et avide nous
attendons l'oubli et la vie.
Fi des avis, des
amis ; feu les amants, les amours. Seule la marche esseulée, solitaire saoulera
l'esprit, l'étirera vers les idées libérées.
Point de date, d'adresse, plus de
chiffres, de codes, d'enregistrement, fin de l'anonymat républicain. A venir
les croisées des chemins, les croisements d'inconnus à connaître, de verre à
échanger et de bouches à échancrer. A venir le non-connu pour l'inconnu.
Restons léger. Bien un jour viendra le retour, bien demain peut-il attendre.
Attendre aussi les technologies,
et s'étendre hors du bitume, tendre loin des trottoirs les pas et les regards,
très loin vers l'ouest, par delà le rivage, au delà des nuages. Voilà la
communication du verbe, du silence. Je te croise, tu passes. Je te salue, tu
m'accueilles. Et les godillots sécheront près du feu, et les larmes
s'épancheront après la bière.
Puis si la route
s'isole, se fond loin des bruits et des lumières, les cieux s'ouvriront, milles
dents pour parler de tous les jours, de tous les temps, depuis qu'il est
compté. Silence sera fait sur le suivant, et c'est bien ainsi ; car pourquoi
danser si la chanson est chantée, pourquoi improviser si la note est unique. Il
y aura bien des possibles, des sentiers, à torturer les mollets, à aller se
fatiguer encore les yeux et les godillots.
Bientôt des gardes à baisser, des
lèvres à baiser, des verres à vider, des pensées à évider. Bientôt, et le repos
pour ne pas demander quand, pour ne pas truquer le jeu, débouter le plaisir.
Et sur le chemin s'égrenneront
les cors et les poids, se délesteront les douleurs et les peines.
Si la langue s'assèche, le sable
râpe la talon, la pluie détrempe et l'humidité roidit, il n'y a de désert
infini, de dune infranchissable, de mousson perpétuelle. A la tempête le dos
rond répond, et le repli nécessaire. Patience, dont on a fait un nom. Patience,
dont il est condition.
Les routes se ressemblent à la
fin toutes, tout en étant propres, irisées de leurs passions et autres
déceptions. Point de jugement que le sien, l'arrangement ou l'accommodation
d'avec sa conscience. Encore faut-il être conscient. Et voir.
J'ouvre les yeux et je vois.
De légères brumes, des
brouillards à s'échouer sur les récifs, parfois des cieux d'azur pâle. Et la
mer qui appelle et cet arbre qui la regarde, planté séculaire sur ses racines
abîmées. Chacun des orages l'incline un peu plus sur la falaise, néanmoins
toujours il se redresse, plus haut la vue, l'air il tend.
S'il choit, aux vagues il se
donnera, s'il se foudroie, aux cendres retournera, s'il meurt de sa vie,
d'humus deviendra. Mais toujours à la terre se rendra, qu'importe la raison. Le
vagabond peut-être se souviendra, de cet arbre qui tendait les bras, écartelé
du nord à l'ouest. Il repensera aux branches qui l'ont abrité des intempéries,
des fruits qui l'auront nourri, des histoires que son écorce lui auront narré,
des mots que ses feuilles lui auront susurré.
Il éprouvera la chaleur et la
douleur de ce souvenir, et se dira « c'est bien ainsi ». Car il sait
bien que cet arbre fit ce qu'il put, et il le comprit, et il l'aimait juste
pour ce qu'il était. Le marcheur avait conscience peut-être de la vacuité, mais
surtout de la beauté. Cela lui suffisait. Repu, il reprendrait sa marche, les
yeux ouverts aux imparfaits, à la prochaine beauté.
Il est des besaces qui de biens
ne se remplissent. Il est des arbres qu'on ne peut croiser. Il est des routes
qu'on ne peut goûter, mais d'autres, dans tous les cas, malgré la lassitude,à
patiemment tracer.
Texte > Cédric Bernard / Photographie
> Anne-Lise Pelabon
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