Le fétichisme
ostentatoire, le laboratoire de l’art … ? (première partie)
Les vêtements, les accessoires et
autres parures humaines ont depuis le début de l’humanité un sens profond et
une portée non anodine dans la culture d’une société donnée ; qu’elle soit
d’origine occidentale ou bien provenant de contrées lointaines comme dans l’art
premier. Ce rapport à l’artifice est révélateur d’un mode de représentation
particulier : objet politique, mobile religieux, caractère symbolique et souci esthétique. L’art questionne cette beauté ; il s’empare de ces fétiches : « amulettes sacrées »
et autres « colifichets magiques » et utilise ce faste éclat à des
fins plastiques pour des propositions alternatives, des visions expressives
aux filiations renouvelées et aux proportions novatrices. Les canons de
beauté sont pris dans le spectre de l’« imaginaire collectif » et
sont entrainés dans la fiction du quotidien : la poésie codée de
l’apprêtement.
"Man with a
dog" - Mexico city - 1990
Joel-Peter Witkin (1939-) > http://www.edelmangallery.com/witkin.htm
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Ainsi sont soulevés certains axes et valeurs de
recherches :
- La question de l’identité du genre ;
l’hybridation ; le travestissement ; le masque, la prothèse, le
postiche, les extensions physiques : la mutation des modèles.
- La question de la fonction : le
rituel de passage, l’apparat solennel, la parade amoureuse, la cérémonie
chamanique ou autres attributs contextuels et actuels contemporains empruntés
par l’art.
L’humanité s’est vêtue et enveloppée d’une
seconde peau : une « surface synthétique » ou une
« feuille de vigne prêt-à-porter ». Probablement est-ce la stratégie
de dominer notre part bestiale et de contenir nos pulsions archaïques ; il y a
dans cet acte important la preuve du développement de la société, des
changements des mentalités et d’une sophistication de l’esprit humain.
Aujourd’hui les signes de la magnificence sont donc un matériel concret, un
vocabulaire formel nourrissant vivement l’imaginaire des créateurs et questionnant
les artistes pleinement et profondément.
"Finger
Gloves" - 1972 -
Rebecca Horn (1944-) > http://www.rebecca-horn.de/
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Alors possédons-nous ou bien
sommes-nous vampirisés par ces « toilettes d’emprunt » ? Cette
question rend visible la nuance de l’artifice et fait sens dans une ontologie
du genre et dans l’ambigüité d’un style! S’habiller est un rituel
quotidien comme une « projection relative » de la personnalité ;
« l’affiche paradoxale » de l’identité est à la fois la porte ouverte
aux visions artistiques et à la poésie onirique du déguisement ; le jeu et
les enjeux des apparences comme un indicible miroir à la surface ridée, ondoyante,
tourmentée et incertaine…
"Refiguration Self-Hybridation" - série précolombienne n=°27 - 1998 - cibachrome 100x150cm - Aide technique
au traitement numériques des images /digital.
Orlan(1947- ) > http://www.orlan.eu/
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La reine Hatshepsout, pour prouver son
affiliation divine et incarner le pouvoir, s'est faite représenter avec la
barbe postiche des pharaons. Un peu dans le même esprit l’artiste ORLAN « instrumentalise »
sa vie dans ses préoccupations artistiques. Le sujet principal abordé et le médium
unique utilisé dans son travail est son identité physique. Le reflet de son
image est amélioré et corrigé en permanence dans des étapes décisives et par
des actes chirurgicaux répétés ! Un engagement radical et un acte « provocant » pour la
majorité dominante. Cette démarche est résolument anti-formaliste est donc naturellement
anticonformiste. Une vision lucide, réfléchie et distanciée pour ainsi laisser
déborder son excédent parodique, baroque et grotesque indifféremment des
sociétés données et au-delà des carcans imposés par « certaines »
institutions et autres régimes idéologiques!
Masque de société d’initiation Fang
Gabon et photo de femme Euro-Stéphanoise - 2002 - 124x155,5cm - Aide technique
au traitement numérique/Digital.
Orlan(1947- ) > http://www.orlan.eu/
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L’artiste ne se sent pas concernée par
une démarche mystique : l’acte de purification rédemptrice d’un anachorète
ou le célèbre « sacerdoce » d’expiation profondément chrétien. Tout
au contraire elle travaille simplement l’autoportrait au sens classique du
terme sans tabous, sans souffrance et sans révérence ; elle pose ainsi le
débat sur l’éthique de la représentation oscillant entre défiguration et
reconfiguration tout en s’affranchissant du « quand dira-t-on » des
moralistes réactionnaires et autres fondamentalistes monothéistes. Ici le corps
modifié, « l’enveloppe charnelle » n’est pas le terrain des péchés en
périphérie de l’âme ou la zone d’exil de la « grandeur » humaine
mais le continuum évident de l’esprit vivant
: alerte, signifiant et sensiblement critique. ORLAN redonne au corps sa place innée ;
comme si elle attribuait du sentiment à
la matière ; une mémoire à la sécrétion :
le corps somatique ou la part métabolique de l’inconscient?
"Refiguration Self-Hybridation"
-"série indienne/américaine
n=°13 : portrait peint de Stán-au-pat
- Bloody Hand / Chief of the Tribe avec un portrait photographique d’ORLAN - 2005 - photographie numérique
124,4x152,4cm.
Orlan(1947- ) > http://www.orlan.eu/
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Ainsi elle se travestit, se fait
implanter des prothèses et se fait poser des postiches selon son inspiration.
Elle s’entoure d’ingénieurs de la technologie de pointe dans ses
opérations chirurgicales et dans ses performances filmées. Elle se rapproche ainsi
de ses modèles de prédilection: les madones séculaires, les icônes futuristes,
les déesses amérindiennes au regard hiératique, les précolombiennes aux
paupières hypertrophiées jusqu’aux africaines à la poitrine scarifiée:
la beauté divine aux proportions corporelles idéales et aux mensurations
irréelles. Elle révèle ainsi sa propre nature en incarnant une image
parfaitement créée : une composante hybride des visages comme une mosaïque
colorée ou un puzzle aux tonalités harmonieuses et aux combinaisons variables.
Alors l’intrigant des ténèbres,
l’inconnu inquiétant sont-ils des conditions sinequanone à l’onirisme envoûtant,
au développement du fantastique ou à l’éclosion du merveilleux ? Tous ces
« projections individuelles » et ces « arrogances foudroyantes »
de la création convoquées, accouchées, révélées par les artistes sont-elles
comme un moteur de l’utopie : la source féconde et intarissable de la
liberté ou l’organe fumant et palpitant d’un au-dedans communicatif? ...
"Variations" - satin blanc cassé, ouate, fil, verre polystryène, métal - 180x45x50 cm
Sophie Menuet > http://www.sophiemenuet.fr/
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Sophie Menuet dans ses « vêtements-sculptures » et ces « parures » revisite sans ménagement les drames de son enfance ; elle s’approprie son histoire personnelle dans un scénario inventif à la narration poétique. Les traumatismes d’un passif, le récit de vie sont mis en scène par la distanciation grâce à la forme du fantastique, à l’intrigue de la fiction et aux propositions de l’étrange ; l’imagination comme condition à la confidence. Une mémoire imbibée de monstrueux souvenirs et des réminiscences débordantes comme le morcellement d’un passé à reconstituer. L’inspiration artistique, la grande nécessité créatrice, les vertus salutaires du beau et la puissance conjuratoire de l’expression sont des armes d’auto défense redoutables face aux forteresses dérisoires, aux obélisques gâtés et autres bûchers des vanités de l’autorité phallocentrique.
Série boutis - série de 9 pièces murales : bonnet, buste, culottes, chausson, bavoir. Technique : Dentelles noires travaillées sur ouate blanche, piquées de fils noirs, formes en verre ou en métal, intérieur velours noir. Dimensions tailles variables, entre 20 et 60 cm épaisseur < 30cm - 2005/2009
Sophie Menuet > http://www.sophiemenuet.fr/
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Des silhouettes fantomatiques enfouies de satin souffrent solennellement, silencieusement et pudiquement. Des personnages immuables drapés de révérence sont bridés dans leurs protubérances chimériques et empêtrés dans leurs excroissances hantées. Ils se camouflent derrière le sourire extatique et crispé des déments ou bien dans une attitude hiératique adaptée ; un aplomb légendaire propre aux monarques. Une beauté burlesque, un foisonnement dantesque et une vision inspirée émanent de ces moignons capitonnés, de ces orifices bouchés et de ces menottes informes. Une vision de l’intime tout en prudence et une parade tout en indices implicites qui magnifie l’insoutenable ; le travail de Sophie Menuet comme un gage réalisé durablement, la contenance bienveillante des pacifiques ou la fierté esseulée de l’insolent et éloquent silence.
"Macagoulamoi" - Série de sept pièces - satin beige brodé de fils noirs, les plis maintenus par des épingles, structure en pystyrène. 2007 photographie : Olivier Pastor
Sophie Menuet > http://www.sophiemenuet.fr/
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"Corps paysages" - photographie - 2010
Sophie Menuet > http://www.sophiemenuet.fr/
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Nicolas Savignat
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