Le fétichisme ostentatoire, le
laboratoire de l’art… ? (suite et fin)
Aiming - Film-Still from Daddy (détail) - 1972
Niki de
Saint-Phalle > http://www.nikidesaintphalle.com/
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Il y a donc une dimension symbolique évidente
et une portée lyrique importante dans l’activité de s’habiller. L’apparat est
comme une extension du corps, une intention de l’esprit ou une valeur
d’expression particulière. Les codes employés de la représentation esthétique
sont des moyens de ritualiser son quotidien, de franchir les étapes de l’existence
sans dommages collatéraux, avec l’assentiment d’une société, d’une
civilisation, d’une décennie donnée. Un « racolage » intégré dans nos
automatismes habituels comme un vocabulaire de signes visibles, un
développement de sens orientés. Il
s’agit d’un acte social, politique, identitaire et évidemment artistique. Mais
tout de même les toilettes extérieures, les apparences affichées, les
appartenances et les distinctions qui en découlent, peuvent nous tromper.
La
mariée - 1963
Niki de
Saint-Phalle > http://www.nikidesaintphalle.com/
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Niki de Saint-Phalle (1930-2002) décrypte
les conditionnements de la société perpétués sur le devenir de l’être humain.
Elle dénonce avec sincérité l’idée préconçue d’une idéologie des identités. Elle
accuse les carcans immobiles, insuffisants et aliénants de l’emprise des rôles.
Elle profane les «cristallisations éhontées » et la vanité patriarcale du
pouvoir autoritaire, impersonnel, majoritaire dans un cocktail explosif, la
combinaison intempestive de la dérision et du sarcasme. Dans La Mariée de 1963, on peut voir une
femme en robe de noces. Au niveau de son torse, il y a un amoncellement de
poupons, de fleurs artificielles et autres jouets. Ceux-ci préfigurent l’univers
et les fonctions de la vie moderne adulte attribués à la femme. En passant,
cette œuvre n’est pas un constat alarmant, elle n’est nullement dogmatique… Elle
est aussi jubilante dans son excentrique générosité, sa fougue immodérée, son
abondante fertilité… Son personnage s’avance dignement telle une plantureuse
meringue. Elle nous convertit dans l’allégresse de son giron, nous réconforte
dans son décolleté gigantesque. Nous sommes protégés sous son opulence compacte,
son apaisement palpable ; les courbes appétissantes de sa grossesse. Son
visage de poupon fragile contraste avec sa robe flottante, volumineuse,
envahissante, fellinienne. Les traits de sa figure à la mélancolie poétique ont
le regard marqué des adolescentes fragiles, un sourire à la risible acidité, le
charme diaphane, suave, las de la Valentine vulnérable. On peut y voir les
paradoxales attitudes du romantisme et de l’étrangeté, un soupçon de l’inquiétant
pouvoir de séduction, un amour putride issu d’un fascinant conte gothique à la
Tim.
Marie-Agnès Fal prise en photographie par Jean Tinguely (1925-1991) |
L’ostentatoire et ses codes référencés
est un médium comme un autre de l’expression. Ce territoire est chargé
d’émotions, de récits, de significations : un apprêtement discursif coiffé
d’idéaux ! Dans le prisme du mouvement de l’art, le « spectacle de la
vie » est une manifestation visible, d’une transparence sensible. Dans le
passé, il y a eu la culture des masques pour incarner l’esprit d’un personnage,
concrétiser l’émotion, incarner le sentiment, provoquer le vivant et créer
l’évènement de l’exorcisme des passions. Une chaleureuse communion est
orchestrée dans les estrades animées du théâtre antique. Autre exemple, les
fêtes du rire de la Commedia dell’arte, Pantalon, Arlequin, bouffons et autres
souffre-douleurs n’ont pas peur du ridicule. Ils interprètent d’une manière
brute et frontale les personnages archétypaux du comique gestuel. Les
moqueries, les pitreries, les attitudes grotesques, les situations cocasses
sont matérialisées par les costumes, les accoutrements, les accessoires
bariolés, et également par les personnalités volcaniques, les tempéraments
trempés des acteurs soumis à l’improvisation la plus joyeuse, taquine,
libérée !
The Cremaster Cycle : I, II, III, IV, V
Matthew Barney > http://www.cremaster.net
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Matthew Barney (1967-) crée un univers personnel
particulier. Son monde grotesque, troublant, effrayant, grandiloquent est peuplé
d’un bestiaire de monstres et de créatures mutantes : anges aux rictus
sadiques, démons aux plumes immaculées, chimères aux cornes de bélier, satyres
aux canines retroussées, dandy à la truffe humide, reine noire aux yeux
chassieux, déluge de chouettes empaillées, nuages de viscères tremblotantes, veuve
au teint blafard et aux lèvres tuméfiées, gangrène chatoyante d’une pièce de
boucherie et autres appendices repoussants, organes fabriqués… Sommes-nous dans
l’interprétation ultime de la légende commune, navigant à vue d’œil dans
l’opacité la plus absolue de la mythologie du subconscient? Peut-être s’agit-il
des codes d’une énigme à résoudre, d’un opéra-laboratoire à l’ordre inconnu,
d’un orchestre philarmonique à l’écho démesuré, d’une chasse balbutiante d’indices
à coup de tubes à essais, d’orgues bouchés, les frasques emphatiques, la double
lecture de la synesthésie ?...
The Cremaster Cycle : I, II, III, IV, V
Matthew Barney > http://www.cremaster.net
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Alors ce fétichisme ostentatoire, le laboratoire de l’art, est-ce la porte ouverte à une divagation cathartique, à une hérétique fantaisie ou à une dégénérescence hyperbolique ? Est-ce une déformation souveraine des modèles fixés à tout jamais, une mutilation volontaire des poncifs « monolithiques » au nom d’une création polymorphe ou les frontières de la séparation brulent et les barrières de la différence chutent? L’art comme une libération hautement décomplexée atomisant la morosité actuelle, le puritanisme consensuel, la génération du scrupule, la conjoncture de la passivité ; une question de bon sens comme une dette à régler absolument, lapidairement, évidemment !... ?
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