Monday, July 2, 2012

FPDV N°29 Cédric Bernard

Des vacances

Il y a quelques temps maintenant. C'était jadis, c'était naguère. C'était la guerre. J'ai pris quelques vacances de moi. Va savoir comment c'est arrivé. C'est arrivé. Comment t'expliquer ? C'est comme ces routes de campagne, encaissées entre deux talus, tu connais ? Peu à peu, l'eau s'infiltre, creuse, puis un beau jour, c'est le glissement. Le microcosme dont on pense les racines bien ancrées est emporté. Ou bien comme ces alpinistes qui chaque année, pour le plaisir, s'en vont se frotter aux mers de glace, là-haut. Seulement, elles ne les attendent pas, elles. Elles continuent d'avancer. Les crevasses avec. Et tout griffé, chevronné qu'il est, l'alpiniste finit par déraper, et s'enfoncer dans le ventre froid qui n'était pas figé. C'est un peu ça, alors. C'est arrivé. 
C'est arrivé, puis c'est trop tard. Ce qui t'appartenait ne t'appartient plus, c'est toi qui lui appartient. Ce qui t'appartenait a toute emprise sur toi. Jusqu'à ce que ça ne t'appartienne même plus. Tu n'as plus rien, et tu appartiens. Alors tu cherches des prises, et comme un talus, tu t'affaisses, tu t'affales. Alors il n'y a plus qu'une solution. Tu prends des vacances de toi. Préparation du paquetage, des paquets de clopes, des paquets de nœuds. De quoi survivre, te tordre. Puis tu abandonnes tout le reste. Tu abandonnes ta femme, ton fils, tes bêtes. Ta demeure. Tu t'abandonnes, puis tu pars, le ventre froid, la tronche figée. C'est un peu ça.
Tu prends comme des vacances de toi. Tu n'as plus rien, alors tu abandonnes le reste. La famille, le téléphone, les connexions. Tout ce qui reste d'humain et proche, mais qui ne touche plus. Seulement la voiture. L'addition de deux mécaniques. Vrombir, rouler. Mastiquer, vomir. Tu stoppes la voiture au gré des ports. Des kilomètres. Souvent, tu la laisses à l'entrée de la cité. Puis ça continue à pieds. Jusqu'à la mer. La longer. Se langer. En large, en travers. De travers. Des kilomètres. Tu photographies les touristes, tu les croises. Un touriste n'est pas un touriste pour lui-même. Ailleurs il est chez lui. Tu l'envies, toi qui es nulle part. Toi qui n'es même pas un touriste. Et tu cours. Des kilomètres. Sans arriver.
C'est la guerre. Puis tu vois tout, comme un spectateur. Tu essaie de participer, tu n'es pas capable d'être partisan. Même pas capable d'être collabo. Rien, tu es là, mais pas là, ce n'est pas toi. Alors tu tournes, tu cherches, tu retournes. Des kilomètres. Une carte, une boussole, pas de nord. Pas d'oubli possible. Tu es le départ de la chose, mais tu ne trouves pas d'arrivée. La poussière se remue avant de se reposer. Il n'y a plus que là que tu laisses des traces. Alors tu fous le nez dedans. Peut-être qu'à rentrer en soi, il est possible de se retrouver. Mais ça colle. La poussière colle aux basques comme les nœuds aux ventres. Jusqu'à ce que ce soit de la boue. Tu prends tout. La poussière, la pluie, les rafales, les affronts.
Comme tu prends des vacances de toi, tu fais des choses que tu avais oubliées. Tu refais des choses. De ces choses qui t'appartenait. D'abord, tu photographies. Puis, tu réécris. Comme avant. Puis, tu écris. Du nouveau. L'avant, et le renouveau. Tu ressasses, et renouvelles. Tu nivelles ton talus. Brun par brin. Des kilomètres de lignes. Comme les lignes des kilomètres parcourus. Mais regarde bien, tu ne récupères jamais tout. Le récit a commencé en causant d'un « je », puis je continue en distanciant d'un « tu ». Tu vois, on ne récupère jamais tout vraiment. Le courant emporte toujours des parts de soi que la mer ne recrache pas. Ne recrache plus. A présent, je prends garde, j'essaie de ne plus m'oublier, quand je pars en vacances. 

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