Friday, January 11, 2013

FPDV N°35 / CHRONICLES / " Projections et trajectoires, la peinture comme moyen?" (1/2) par Nicolas Savignat / France


Projections et trajectoires,
la peinture comme moyen ?

Tout comme le débat du socle en sculpture ou la mimésis comme une réalité objective, une fidélité iconique - l’objet peinture - l’idée de la peinture souffre de polémiques variées sur son statut et sa pérennité et de réversibles enthousiasmes symptomatiques :
- Valeur donnée, acceptée, retirée
- Encensement tatillon dans les discours institutionnels, les appareils du pouvoir ou dans l’opinion générale du commun des mortels.
Cette question a donc une histoire et une résonance profonde - la genèse d’une définition et les limites sémantiques du langage. Une ligne de lecture structurelle du signe et du sens : la question esthétique du médium peinture.


Constance Thieux - Fausse croyance au galop d’un vide surprise insaisissable - 2012 - 120x140cm - huile sur toile

Les avant-gardes du vingtième siècle ont fait atomiser le cadre stricte et officiel de la peinture traditionnelle dans une provocation irrésistible. Nécessité devant l’absurdité des drames humains perpétrés au vingtième siècle ? Engouement d’un devenir minoritaire? Prospecteurs de matière? Manipulations intrinsèques? Collectionneurs du vivant? Déviances joyeuses sur les chemins inexplorés, réconciliés au-delà du jugement du beau et des préoccupations esthétiques d’une décennie particulière?


Constance Thieux - Prévention solaire - 2011 - 80x50cm - huile sur toile

Constance Thieux utilise le médium peinture comme moyen d’expression. Elle choisit, pour alimenter son inspiration, de mobiles secrets - progression d’une intrigue en rebondissements, en imprévus, en réactivité dont elle est l’unique amorce et la seule responsable. La portée de son enjeu est comme le défi d’un marathonien : une quête de l’accomplissement par le dépassement de soi dans le spectre d’un engagement durable.
Peut-être s’agit-il d’un moyen de jouer ou de dépasser ces débats discursifs interminables en développant un univers monstrueux, inquiétant et à la fois savoureux et libéré démesurément : le panache ludique, le macabre onirique, la bêtise fantaisiste?…


Constance Thieux  - Dialogue muet entre chien et loup - 2011 - 170x130 cm
Chez cette artiste, l’expression prend toute sa dimension dans un déchainement cathartique. Les codes graphiques utilisés sont délogés de leurs significations contextuelles précises. Ils sont écartés d’une logique ritualisée, automatique, quotidienne, à l’évidence même. Évincement d’une sacro-sainteté marquée de tabous? Dans tous les cas, une façon de se débarrasser du matricule de l’absolu programme. Formule de l’inconstance dans un foisonnement assumé d’imageries, de digressions de signes.

Chatoiement de couleurs dans des analogies renouvelées. Passerelles improbables aux représentations incessantes. Une absurdité de circonstance se perpétuant largement dans une logique indicible - qualités d’une déviance souveraine, impromptue - spectre de l’inconscient en prime!


Constance Thieux  - La réalité dans un état soporifique extra lucide - 2012 - 116x81cm - huile sur toile.

Constance Thieux - La nostalgie du doute remise au goût du jour - 2012 - 160x110cm - huile sur toile

Constance Thieux oscillant sans cesse entre l’habité et le hanté : une histoire mobile, un fantasme possible, une fiction précise… 

Ainsi peut-on comprendre la pensée des artiste modernes et contemporains qui brisent et conjurent l’héritage culturel de leur société, le patrimoine d’une civilisation en accusant les institutions conventionnelles intellectuelles d’être excessivement envahissantes, embarrassantes voir handicapantes.


Raoul Hausmann (1886-1976) - Der kunstreporter (le critique d’art) - 1919/1920 - photomontage et collage avec encre de Chine et crayon sur poème/affiche - 31,8x25,4 - Tate Gallery


Paul Rebeyrolle (1926-2005), Faites-nous confiance, 1987, huile sur toile, 238x254cm

L’avant-gardisme - mouvements autonomes, précurseurs autodidactes rejetant l’autorité unilatérale.
Occultation de la définition d’une œuvre d’art comme une suite d’associations ou formules impersonnelles?
Peinture égale à un châssis, visite de musée linéaire, l’huile comme matière consubstantielle a une expérience esthétique.

Il y a en sourdine une insoumission à cette réalité formatée comme fonction inerte, pratique docile, glorification de l’élucidé. Depuis le début du vingtième siècle, les artistes ont inventé : le collage, la notion de série, le « all over », le monochrome... Ils ont utilisé également le médium de la sérigraphie comme moyen d’expression.
Bridget Riley (1931-), Fragment 4, 1965, 69x66,5cm

Des approches plurielles, des prismes abordés, des formats divers sont utilisés largement: dans le cinétique, le social, la géométrie, la matière, la science etc.


Vija Celmins (1938-), Untitled (web 2), 2001, mezzotint on paper.

La peinture a profité de cette métamorphose comme terrain d’investigation du monde. Elle vit son « émancipation », « travestissement » aisément, avidement, décomplexée. Une hybridité pleine de possibilités, un patchwork de cultures et d’identités multiples : déplacement synoptique, variations d’analogies, de lapsus latents, souvenir d’imprégnation périphérique. La création plastique contextuelle comme métaphore de la peinture ?

Prenons Vik Muniz (1961-). Ce photographe brésilien se met au service de la perception visuelle avec seulement des outils et des matériaux non officiels. Une étonnante et inventive approche de l’illusion construite avec des rebuts, des denrées comestibles et périssables…
 

Vik Muniz  - Crane - mosaïque de deux millions d’origami de grues - 2011

Les propriétés de transparences lumineuses du sucre, la patine chatoyante vermeille de la confiture de fraise, la crayeuse texture du beurre de cacahuète comme médias pour colorier des silhouettes identifiables. L’une de ces œuvres les plus populaires se nomme: Double Mona Lisa, de la série After Warhol (1999). 


Vik Muniz - Double Mona Lisa (peanut butter and jelly, After Warhol) - Cibachrome - 1999

Évidemment, il s’agit d’une représentation d’icônes populaires. Dans un futur proche, on pourrait, pourquoi pas, admirer le sourire de Lady Gaga en miettes de spéculos lors d’une foire artistique et autres biennales. Un dégradé d’intentions aux propriétés sensitives ne véhiculant plus seulement un sens intellectuel, spirituel, métaphysique mais s’adressant au corps charnel: la dimension scopique dans l’herméneutique psychanalytique. 
Un enrichissement nourri d’insolence, de perversion ludique ; la notion de vanité des images populaires ; la fascination boulimique et l’obsession dionysiaque de l’image mémoire ; l’épreuve de la photographie colorée, une trace scellée dans son statut d’éphémère comme palier ultime à la ut pictura poesis. 


Vik Muniz - Medusa marinara - 1997 - Courtesy galerie Xippas

L’espace d’art n’est donc plus seulement un lieu de rituels, d’habitudes acquises, d’un postulat arrimé. Mais c’est également une zone d’étude, d’échanges et de contrastes ; la débauche fantasque, des rafales d’envies et d’aspirations coïncidant avec la nature humaine et les affinités du vivant, amplifications soudaines ? Une façon d’assumer le hasard,  de contrôler les accidents, d’expérimenter des sujets désertés, des états d’éveils au monde via des protocoles expérimentaux ; une prolifération de signes, une ramification de symboles, une réinterprétation cathartique dans un questionnement incessant sur la précarité de l’inspiration dans l’acte créateur. Le penseur « l’humain » sur le fond comme dans la forme… sérénissime, millésime et infinitésimal!


Vik Muniz - Les demoiselles d’Avignon - collection Yvan Lambert (Lawrence Weiner) - 2000

Et la peinture dans tout ça !? Dans tout ce chaos postmoderne elle est emportée inexorablement dans ces lignes de fuites, ces gerbes de propositions respectives, ces éventails alternatifs, ce débit profondément immense. Est-elle une trahison volontaire , l’enchantement soudain d’une inspiration immédiate, ou le sortilège fulgurant d’un carrefour déboussolant ; la consolante conjuration, le cercle des oracles dans un siècle commun ?


A suivre…


Nicolas Savignat
Website  >  http://nicolasavignat.wordpress.com/  

4 comments:

  1. Waouh, du vrai art juteux et merveilleux.

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  2. Merci de cet article superbe avec une mention spéciale pour Constance Thieux dont les travaux m'ont particulièrement touchés.

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  3. C'est passionnant. Que de découvertes pour un poète fasciné par la peinture ! Merci enthousiaste à Constance Thieux, sans oublier mon amie Josée Lieroop grâce à qui j'ai pu me réjouir de ce partage.

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