Tuesday, December 11, 2012

FPDV N°34 / CHRONICLES / Du gribouillis au dessin (1/2) par Nicolas Savignat

Du gribouillis au dessin : 1ère partie



La genèse du dessin chez l’artiste ou les prémisses d’une pensée chez le sage sont des sujets embués de mystères. Leurs  origines sont complexes et leurs apparitions difficilement localisables. Ils ne sont  pas seulement le produit d’une conjoncture linéaire, d’une causalité simpliste. Les pédiatres observent dans les dessins des enfants une série d’étapes d’éveil, inhérentes à la construction du sujet et de la personnalité ; des phases préliminaires à l’expression humaine et artistique.


Collectif d’anonymes - la genèse d’une expression - Archive personnel de Nicolas Savignat

Alors les gribouillis initiaux, les essais non maitrisés, les intentions « ratées » dans la pratique du dessin sont-ils le début de la construction de la forme, de l’articulation d’une pensée ou de l’apparition d’une conscience? Leurs rôles ont donc il me semble un aspect fondateur comme la première pierre posée à la construction d’un édifice. Je formulerai les choses ainsi : les gribouillis sont probablement une projection latente d’une impression imminente, une expérience de la durée chez le sujet comme condition à une destinée ou la nuance d’une subjectivité s’exprimant en continu.

Chez l’artiste, Sarah-Louise Barbett on peut observer un style de dessin un peu « maladroit » voire « enfantin ».
Séries Chouette et C’est la fête - Feutre
Sarah-Louise Barbett   >   http://aisselles.wordpress.com/

Loin de m’irriter ou de m’étonner face à cette expression employée, celle-ci révèle en moi une émotion plutôt de l’ordre de l’amusement et de la surprise. Ce travail véhicule également des qualités brutes dont l’idéal d’authenticité se veut constante, alternant entre l’humour jaune, l’anecdote pittoresque et l’hilarité irrépressible. Une plongée dans une narration quotidienne et paradoxalement cruelle, une provocation par l’innocence dont l’issue est teintée d’un second degré facétieux. Ceci finit bien par nous démontrer qu’un style de dessin plus appliqué, sophistiqué, n’est pas forcément plus intéressant et plus expressif…


Séries Chouette et C’est la fête - Feutre
Sarah-Louise Barbett   >   http://aisselles.wordpress.com/


Séries Chouette et C’est la fête - Feutre
Sarah-Louise Barbett   >   http://aisselles.wordpress.com/

Mais repartons sur notre sujet, l’origine d’un dessin, l’entreprise d’une vocation, la manifestation première de l’élan créateur !

Analogiquement chez les artistes on peut observer les mêmes signes en amont de la figuration future, une expression promise, les traces du présupposé ... Par exemple pour illustrer ma pensée, on reconnait beaucoup d’indices d’une œuvre à venir lorsque l’on se penche sur la biographie passée d’un artiste ou sur sa vie privée. Il y a beaucoup de porosité entre la vie de l’artiste et l’aboutissement de son œuvre. Mais ce qui est intéressant c’est de voir comment un évènement provoque un phénomène. Comment un accident participe à une série d’enchainements successifs vers une issue quasi intelligible, une cohérence pas tout à fait générale. Le parcours d’une âme singulière conditionnée ou non par les réminiscences de la mémoire et une destinée approximativement unique…
Consecuencias permanentes, ink on cotton paper, 21 x 29,7cm, 2012.
Helena Hernandez  >  http://www.helenahernandez.net/hht/

Aussi une autre interprétation est possible ontologiquement parlant : l’œuvre existe-elle avant son incarnation dans une forme immatérielle ou indicible ? Probablement elle porte déjà son charme en pointillé dans le monde du songe, dans l’inconscient collectif, dans l’introspection intime, dans l’identité d’une culture, d’un patrimoine, d’une génération… Elle est comme un mimétisme passif produit par la société, un ersatz confondu dans le décor ainsi son aura est peut-être déjà là ? S’agit-il d’une idée pouvant jaillir d’une façon ou d’une autre, dans une civilisation donnée et au temps voulu ?



Dos tiros de un pajaro, ink on cotton paper and digital printings, 15,7 x 28,2cm, 2012.
Helena Hernandez  >  http://www.helenahernandez.net/hht/

Et certainement, l’artiste est un maillon indispensable dans le partage de sa vision du monde. Mais à quel moment est-il entrainé dans cette destinée minoritaire? A quel instant x  choisit-il le temps pour concrétiser ses aspirations et pour matérialiser son imagination dans la pratique du dessin? Le mystère reste entier et sujet à toutes les interprétations possibles sur la question du pourquoi et du comment de l’origine du « ça ».

It’s a new life, acrylic and ink on cotton paper, 42 X 59,4cm, 2012.
Helena Hernandez  >  http://www.helenahernandez.net/hht/

Dans cette série de Helena Hernandez nommée Evening of life, il y a un intérêt manifeste concernant la genèse d'une forme, la mutation d'une forme. Les étapes de la transformation de l’univers sont abordées comme un motif ; des éléments figuratifs dégénérescents jusqu’à devenir métaphoriques, l’élaboration d’une vision fantasmée du monde, une science fiction revisitée ou la mort est comme une seconde naissance, une ultime genèse!

Pastel sur toile - 130x150cm - 2005
Sophie Bacquié  >  http://www.sophiebacquie.com/

On ne peut nier le charme, la puissance des œuvres inachevées à travers l’histoire de l’art. Il y a un sens éventuellement à cela, celui d’éclairer un aspect saisissant des choses : le prolongement du sentiment de début, l’idéal de la forme primitive ou les cycles de l’infini…

Certains disent : « un dessin réussi atteint l’essence d’un objet, le sujet d’une idée ou la vie réelle en restant impérativement  dans l’évocation ». Un agencement de quelques signes élus, un isolement de lignes retenues, une forme indicielle de la représentation.

Une œuvre d'art prend-elle sa force vitale dans la parfaite alliance entre fulgurance et concision, une combinaison de signes définis-infinis propre à l'expression plastique?  Il s’agit probablement d’un moyen de garder la force virginale d’un sentiment, un prisme abordé, l’archaïsme brutal d’une intention nette ou les prémisses sont mis en exergue…


Pastel sur toile - 130x150cm - 2005
Sophie Bacquié  >  http://www.sophiebacquie.com/



Pastel sur toile - 130x150cm - 2005
Sophie Bacquié  >  http://www.sophiebacquie.com/

 Dans cette série de Sophie Bacquié on peut remarquer la volonté d’isoler un élément précis, de l’identifier distinctement tout en le retirant d’un contexte facilement intelligible. Le motif choisi revêt un sens nouveau, dégagé de toutes représentations fortement codifiées. Une analyse de l’image comme une auscultation chirurgicale : déroutante, intrigante, coquasse mais toujours essentiellement magnétique ! Ici le but n’est pas d’abonder dans un scénario efficace à l’issue toute tracée mais de questionner le regard durablement et simplement sur le sens de la forme visuelle.

Sophie Bacquié - dans la série "Orifices" - Pastel sur toile - 

Et le gribouillis… que devient-il celui-là? Par quel bout commencer et comment le résumer ? S’agit-il d’un sens en chemin, le signe en berne, le prolongement de ma main, les soubresauts de mon corps? S’agit-il d’un geste échappé et à la fois pensé ? Et comment l’interpréter ? 


Lubos Plny (1961-)- Sans titre - 2010 - Collage, encre de Chine et acrylique sur papier - 60 x 84 cm


Lubos Plny - Sans titre - 2011 - Collage - encre de Chine et acrylique sur papier - 84 x 60 cm


Lubos Plny - Sans titre - 2010 - Collage - encre de Chine et acrylique sur papier - 84 x 60 cm

On peut remarquer ci-dessus une œuvre très forte issue de l’art brut faite par Lubos Plny (1961-). Un gribouillis porté à une forme d’apogée de l’obsession anatomique. Le dessin est appliqué savamment et à la fois possédé par le hasard du fantasque, de l’incontrôlable pouvoir de dissection de l’image.

Le gribouillis est-il en amont du dessin ? Et le dessin est-il un moyen d’atteindre la prochaine étape, le sens en chemin dans la forme advenue… ?! Cet axe de recherche est certainement linéaire mais il entraîne à lui tout seul un paquet de considérations irrésolues à la précarité fantasque, à la destinée fumeuse!

Finalement distinguer gribouillis et dessin est un exercice bien dérisoire et il soulève évidemment la question de l’essence d’une œuvre d’art, ses propriétés ontologiques, son immanence immuable perçues par le commun des humains dans une société donnée.

Abri 1, feutre sur papier, 29,7x42cm, 2012.
Catherine Burki  >  http://www.catherineburki.com/




Abri 2, feutre sur papier, 29,7x42cm, 2012.
Catherine Burki  >  http://www.catherineburki.com/

Dans ces dessins de Catherine Burki on peut voir des compositions réalisées avec des éléments divers. Des associations d’objets hétéroclites représentées avec des échelles totalement irréalistes. Ici la forme de chaque objet prise indépendamment est identifiable mais l’assemblage général reste empreint de mystère, laissant au spectateur une libre interprétation, un décodage par l’imagination personnelle. Ainsi le cadre de l’art repousse les lois du réel et du possible et permet la projection des visions idéales, viscérales ; l’expression d’une unicité, d’une subjectivité, d’une liberté.

...A suivre...

Nicolas Savignat
http://nicolasavignat.wordpress.com/ 

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