La genèse du dessin chez l’artiste ou les
prémisses d’une pensée chez le sage sont des sujets embués de mystères.
Leurs origines sont complexes et leurs
apparitions difficilement localisables. Ils ne sont pas seulement le produit d’une conjoncture
linéaire, d’une causalité simpliste. Les pédiatres observent dans les dessins
des enfants une série d’étapes d’éveil, inhérentes à la construction du sujet
et de la personnalité ; des phases préliminaires à l’expression humaine et
artistique.
Collectif d’anonymes - la genèse d’une expression - Archive personnel de Nicolas Savignat |
Alors les
gribouillis initiaux, les essais non maitrisés, les intentions
« ratées » dans la pratique du dessin sont-ils le début de la
construction de la forme, de l’articulation d’une pensée ou de l’apparition
d’une conscience? Leurs rôles ont donc il me semble un aspect fondateur comme
la première pierre posée à la construction d’un édifice. Je formulerai les
choses ainsi : les gribouillis sont probablement une projection latente
d’une impression imminente, une expérience de la durée chez le sujet comme
condition à une destinée ou la nuance d’une subjectivité s’exprimant en
continu.
Chez l’artiste,
Sarah-Louise Barbett on peut observer un style de dessin un peu « maladroit »
voire « enfantin ».
Loin de m’irriter ou
de m’étonner face à cette expression employée, celle-ci révèle en moi une émotion
plutôt de l’ordre de l’amusement et de la surprise. Ce travail véhicule
également des qualités brutes dont l’idéal d’authenticité se veut constante,
alternant entre l’humour jaune, l’anecdote pittoresque et l’hilarité
irrépressible. Une plongée dans une narration quotidienne et paradoxalement
cruelle, une provocation par l’innocence dont l’issue est teintée d’un second degré
facétieux. Ceci finit bien par nous démontrer qu’un style de dessin plus appliqué,
sophistiqué, n’est pas forcément plus intéressant et plus expressif…
Séries Chouette et C’est la fête - Feutre
Sarah-Louise Barbett > http://aisselles.wordpress.com/
|
Mais repartons sur notre sujet, l’origine d’un dessin, l’entreprise d’une vocation, la manifestation première de l’élan créateur !
Analogiquement chez les artistes on peut observer les mêmes signes en amont de la figuration future, une expression promise, les traces du présupposé ... Par exemple pour illustrer ma pensée, on reconnait beaucoup d’indices d’une œuvre à venir lorsque l’on se penche sur la biographie passée d’un artiste ou sur sa vie privée. Il y a beaucoup de porosité entre la vie de l’artiste et l’aboutissement de son œuvre. Mais ce qui est intéressant c’est de voir comment un évènement provoque un phénomène. Comment un accident participe à une série d’enchainements successifs vers une issue quasi intelligible, une cohérence pas tout à fait générale. Le parcours d’une âme singulière conditionnée ou non par les réminiscences de la mémoire et une destinée approximativement unique…
Consecuencias permanentes, ink on cotton
paper, 21 x 29,7cm, 2012.
Helena Hernandez > http://www.helenahernandez.net/hht/ |
Aussi une autre
interprétation est possible ontologiquement parlant : l’œuvre existe-elle
avant son incarnation dans une forme immatérielle ou indicible ? Probablement
elle porte déjà son charme en pointillé dans le monde du songe, dans
l’inconscient collectif, dans l’introspection intime, dans l’identité d’une
culture, d’un patrimoine, d’une génération… Elle est comme un mimétisme passif
produit par la société, un ersatz confondu dans le décor ainsi son aura est
peut-être déjà là ? S’agit-il d’une idée pouvant jaillir d’une façon ou
d’une autre, dans une civilisation donnée et au temps voulu ?
Dos tiros de un pajaro, ink on cotton paper and digital printings, 15,7 x 28,2cm, 2012. Helena Hernandez > http://www.helenahernandez.net/hht/ |
Et certainement,
l’artiste est un maillon indispensable dans le partage de sa vision du monde.
Mais à quel moment est-il entrainé dans cette destinée minoritaire? A quel instant
x choisit-il le temps pour concrétiser
ses aspirations et pour matérialiser son imagination dans la pratique du
dessin? Le mystère reste entier et sujet à toutes les interprétations possibles
sur la question du pourquoi et du comment de l’origine du « ça ».
It’s
a new life, acrylic and ink on cotton paper, 42 X 59,4cm, 2012.
Helena Hernandez > http://www.helenahernandez.net/hht/ |
Dans
cette série de Helena Hernandez nommée Evening
of life, il y a un intérêt manifeste concernant la genèse d'une forme, la
mutation d'une forme. Les étapes
de la transformation de l’univers sont abordées comme un motif ; des éléments
figuratifs dégénérescents jusqu’à devenir métaphoriques, l’élaboration d’une vision
fantasmée du monde, une science fiction revisitée ou la mort est comme une
seconde naissance, une ultime genèse!
On ne peut nier le charme, la puissance des œuvres inachevées à travers l’histoire de l’art. Il y a un sens éventuellement à cela, celui d’éclairer un aspect saisissant des choses : le prolongement du sentiment de début, l’idéal de la forme primitive ou les cycles de l’infini…
Certains disent : « un dessin réussi atteint l’essence
d’un objet, le sujet d’une idée ou la vie réelle en restant impérativement dans l’évocation ». Un agencement
de quelques signes élus, un isolement de lignes retenues, une forme indicielle
de la représentation.
Une œuvre d'art prend-elle sa force vitale dans
la parfaite alliance entre fulgurance et concision, une combinaison de signes
définis-infinis propre à l'expression plastique? Il s’agit
probablement d’un moyen de garder la force virginale d’un sentiment, un
prisme abordé, l’archaïsme brutal d’une intention nette ou les prémisses sont
mis en exergue…
Dans cette série de Sophie Bacquié
on peut remarquer la volonté d’isoler un élément précis, de l’identifier distinctement
tout en le retirant d’un contexte facilement intelligible. Le motif choisi revêt
un sens nouveau, dégagé de toutes représentations fortement codifiées. Une
analyse de l’image comme une auscultation chirurgicale : déroutante,
intrigante, coquasse mais toujours essentiellement magnétique ! Ici le but
n’est pas d’abonder dans un scénario efficace à l’issue toute tracée mais de questionner le regard durablement et
simplement sur le sens de la forme visuelle.
Sophie Bacquié - dans la série
"Orifices" - Pastel sur toile -
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Et le gribouillis…
que devient-il celui-là? Par quel bout commencer et comment le résumer ?
S’agit-il d’un sens en chemin, le signe en berne, le prolongement de ma main,
les soubresauts de mon corps? S’agit-il d’un geste échappé et à la fois
pensé ? Et comment l’interpréter ?
Lubos Plny (1961-)- Sans titre - 2010 - Collage, encre de Chine et acrylique sur papier - 60 x 84 cm |
Lubos Plny - Sans titre - 2011 - Collage - encre de Chine et acrylique sur papier - 84 x 60 cm |
Lubos Plny - Sans titre - 2010 - Collage - encre de Chine et acrylique sur papier - 84 x 60 cm |
On peut remarquer
ci-dessus une œuvre très forte issue de l’art brut faite par Lubos Plny (1961-).
Un gribouillis porté à une forme d’apogée de l’obsession anatomique. Le dessin
est appliqué savamment et à la fois possédé par le hasard du fantasque, de
l’incontrôlable pouvoir de dissection de l’image.
Le gribouillis
est-il en amont du dessin ? Et le dessin est-il un moyen d’atteindre
la prochaine étape, le sens en chemin dans la forme advenue… ?! Cet axe de
recherche est certainement linéaire mais il entraîne à lui tout seul un paquet
de considérations irrésolues à la précarité fantasque, à la destinée
fumeuse!
Finalement
distinguer gribouillis et dessin est un exercice bien dérisoire et il soulève évidemment
la question de l’essence d’une œuvre d’art, ses propriétés ontologiques, son
immanence immuable perçues par le commun des humains dans une société donnée.
Dans ces dessins de Catherine Burki on peut voir des
compositions réalisées avec des éléments divers. Des associations d’objets
hétéroclites représentées avec des échelles totalement irréalistes. Ici la
forme de chaque objet prise indépendamment est identifiable mais l’assemblage général
reste empreint de mystère, laissant au spectateur une libre interprétation, un
décodage par l’imagination personnelle. Ainsi le cadre de l’art repousse les
lois du réel et du possible et permet la projection des visions idéales,
viscérales ; l’expression d’une unicité, d’une subjectivité, d’une
liberté.
...A suivre...
Nicolas Savignat
http://nicolasavignat.wordpress.com/
un régal en dessein. Merci
ReplyDeletehttp://www.dessinspontane.be/
serge
D'accord avec Serge..
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