Wednesday, January 23, 2013

FPDV N°35 / "Projections et trajectoires, la peinture comme moyen?" (2/2) par Nicolas Savignat / France

Projections et trajectoires,
la peinture comme moyen ?
(suite et fin)
...
Et la peinture, elle n’a plus le statut exclusif de l’image dans ce fourmillement instable et dans cette densité effrénée. Elle n’est plus l’épicentre de l’art, la zone érogène unique de la création ou exclusive de la contemplation. On peut donc maintenant exercer sa créativité autrement car la définition unanime d’un « territoire » de la peinture est actuellement inadaptée voire anachronique. Cette discipline se cherche et réinvente ses codes en se dégageant résolument de tout académisme formaté.


"Le matin" - Olivier Geffard - 50x60cm - huile sur toile

Olivier Geffard  tente le pari de la peinture parmi cette jeune génération en mouvement. Son travail prend son sens dans une pratique active et assurément passionnée. Dans la série Arbres il représente des sites pastoraux, des lieux oniriques habités d’une aura douce et baignés d’une lumière quasi nébuleuse. L’énergie intacte nous gagne lentement et le calme habité nous traverse irrésistiblement ! Un regard exalté par la lumière, stimulant l’imaginaire dans un éclaboussement de paillettes et une gerbe de pubescences d’or : l’innocence fondamentale d’une pureté accouchée.


"La forêt primitive des prés humains" - Olivier Geffard - 80x80 cm - huile sur toile

Quelques esprits « fantastiques » apparaissent périodiquement ; ils sont cachés derrière les troncs longilignes ou tapis dans la tourbe se confondant avec le crachin immatériel et les treillis de lichen du paysage. On peut distinguer son travail pour sa virtuosité technique dans la maîtrise des camaïeux de blancs qui atteignent un niveau de fluidité considérablement élevé.


"Sapins"- Olivier Geffard  - 21x30cm - huile sur toile

L’artiste a un lien évident avec la métaphysique de Baruch Spinoza (1632-1677) : « Dieu est la Nature, la Substance unique et infinie. »


"Le contempleur solitaire" - Olivier Geffard  - 24x33cm - huile sur bois

Olivier Geffard ou l’activité concrète de rendre la matière vivante et la nature animée spirituellement.

Le poids de la peinture occidentale est toujours intégré dans notre façon de percevoir le monde et d’analyser les choses de la vie. Ainsi dans ce nouveau contexte la peinture est maintenant traversée par d’autres médiums. Des outils, des techniques, des matériaux qui sont exogènes aux pigments, à la couleur ou à la toile traditionnelle. Dans ce récent rapport à la pratique  il y a donc de nouvelles logiques d’approches et des moyens d’appréhension renouvelés.


Sans titre - Claude Viallat - 158x105cm - Acrylique sur montage de chutes

Par exemple, Claude Viallat (1936-) a fait le choix d’une technique spécifique dans son travail. Il répète le même motif inexorablement. Une tâche répétée sans faute d’écart et paradoxalement ces propositions picturales sont toujours renouvelées. Il crée sans châssis. Il réalise sa peinture sur des bâches récupérées, des draps en pièces détachées, des rideaux achetés dans des friperies.


Exposition : Mesure donnée - Claude Viallat - 2012  - Pièces de tissus peintes pendant l’exposition à Montpellier.

Ainsi le support se réinvente continuellement. Le « territoire » familier du médium traditionnel est abandonné pour oser l’impossible : celui de déborder du cadre habituel (le carré, le rectangle, le rond). Il fait le choix de mettre en scène son travail à même le mur pour vivre « l’instant suspendu d’un flottement déchiré ». On peut ainsi observer une forme ni abstraite ni géométrique comme une tautologie bariolée. Le développement de l’empreinte dans ce processus connoté n’altère en rien la créativité incessante de l’artiste.


Vue pendant l’accrochage de l’Exposition : Mesure donnée - Claude Viallat -Montpellier - 2012

Des artistes se sont emparés des médiums et des supports de la peinture traditionnelle dans une filiation naturelle et comme une opportunité avouable. La peinture n’est plus seulement associée à un sacerdoce suranné ou à un folklore frelaté. Elle devient un moyen de transgression nouveau et un vecteur d’émotions réelles :

             - L’espace symbolique de l’art ;
             - La surface plane et le cadre ;
             - Les champs d’action revisités ;
             - Une trajectoire réflexive à l’amplitude avenante.


Cloud  [Wolke] - Gerhard Richter - 200x300cm - huile sur toile - 1970

La peinture de Gerhard Richter (1932-) est influencée fortement par le document photographique. Il s’inspire de l’impression floue et des propriétés de l’illusion propre au tirage argentique. La texture de la peinture, de l’image et de la figure est ainsi révélée dans une lumière feutrée. Le motif s’incarne telle une apparition fantomatique et il devient une substance tactile et trouble à la fois. La palette colorée est pleine de nuances : gris tourterelle, ersatz de nacre, gris anthracite… Les choix des sujets et les partis pris emparés sont atypiques et inédits (le cadre-la composition-le focus). Pourtant la toile est montée dans les règles traditionnelles et dans un savoir faire séculaire propre au travail de « l’artisan peintre ».



Cloud  [Wolke] - Gerhard Richter - 200x300cm - huile sur toile - 1970

La personnalité érudite et énergique de l’artiste nous est transmise sans ambigüité. Il a une manière unique de traiter la lumière, de représenter le réel et d’interpréter le monde en retenant l’essence constitutive d’un sujet dans sa relative virtualité, dans sa fragile constitution et dans son impénétrable pouvoir de fascination : une mécanique de l’immanence, la vibration des songes ou le magnétisme de la vie.



Cloud  [Wolke] - Gerhard Richter - 200x300cm - huile sur toile - 1970

Il nous communique son idéal de grandeur par des séries aux dimensions colossales et un hors-champs suggérant un infini approximatif au suspense latent et à l’issue électrisante. Gerhard Richter est comme un miroir paradoxal et immédiat de la matérialité de l’esprit, de la vanité des objets et de la complexité de l’image. Ces images sont comme une « matière sentimentale » ou une suite d’indices d’une « mythologie de la réalité ».


"Selbstportrait (autoportrait)" -
Gerhard Richter - 51x46cm - Huile sur toile - 1996

La représentation prise comme sujet de la peinture est finalement une source d’inspiration intarissable. L’artiste se livre avec franchise dans ce cheminement persistant et dans cette expérience humble tout en générosité. Ainsi il nous transmet une force critique, subtile et mesurée comme une condition d’existence au monde. Un décryptage saisi dans le judas de la peinture et imprégné d’essence de térébenthine d’une fragrance entêtante et d’émanations enivrantes. « The Paintings are secrets ».

Alors la peinture est-elle devenue indéchiffrable par le langage verbal dans son principe « d’insolubilité »? Et peut-elle contenir dans une seule définition déterminée  comme « un cerveau dans une boîte à chaussure »? Cette insuffisante question reste ouverte aux débats et aux continuelles considérations. Mais une chose reste certaine, l’art se moque des langues de bois et tout homme d’esprit respectable se méfie des points finals. Le dialogue est pour moi une franchise d’avenir et un bol d’air ; un monde estimé dans ses ambivalences respectives et dans les échanges interactifs d’une vie abordable, d’une vie introspective et d’une vie partageable !


Nicolas Savignat
Website  >  http://nicolasavignat.wordpress.com/

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