Consigné à disparaître
Tout
ce qu'il y a eu, y aura, y a là. La même trace que le sélène de la lune. Qui
laisse même moins que le souvenir. Avec un peu de temps, avec un peu de chance.
Si l'on veut. Je le vois bien, c'est un peu comme mon père. Je le vois encore
me tendre, presque gêné, ces petits classeurs où s'accumulent ces feuillets
noirs et jaunes. Noirs dedans et jaunes autour. Plein de sensible, plein de son
sensible. Que j'ai ouvert. Que je n'ai pas lu. Que mon fils ne lira pas. Pas
plus qu'il ne me lira. Qu'il ne lira mes propres feuillets. Dactylographiés,
classés, sériés, reliés. Classés. Hors. Pourtant je le ferai. Je lui tendrai
aussi ces liasses, tout d'espoir et d'embarras. Comme je le fais déjà, alignés
eux aussi sur des murs. Sur d'autres murs, virtuels, inconsistants,
apparaissant dans le fond de quelques boites de quelques autres. En me
demandant. En oubliant, comme eux, comme lui.
J'alignerai
encore un peu quelques feuillets reliés, quelques liasses. Qui ne trouveront
aucune bibliothèque. Car je ne tiendrai jamais la longueur. Car je ne tiens
jamais la longueur. Pérennité. Parce que je veux éviter cette confrontation
d'avec l'autre, d'avec moi-même, en soi. Cette confrontation esquissée dans les
numéros, qui reste sans réponses. Cette confrontation esquivée, d'entendre
silencieusement que l'intérieur ne trouve pas l'écho à se trouver dehors.
Quelques feuillets qui trouveront eux aussi un mur, une boîte. Un temps. Car je
ne tiens jamais la longueur. Je regarde en arrière. Je m'y arraisonne. Et je ne
peux que constater.
On
peut bien se rendre compte, qu'il y a une permanence de l'inéquation. C'en est
des rencontres. On eut pu croire, à la magie des rencontres. J'aurai voulu
croire. Elles se font, et à se faire, se défont. Fondent peu à peu. Mais ce
n'est que ça, des instants. Comme de l'écriture. C'est pour cela que l'on
accepte. Cette étrange grammaire. Et sa loi fluctuante du jeu. C'est pour cela
que l'on accepte, qu'on joue tendu tantôt, à tâtons. A la recherche de la
détente. De cette suspension. Ce n'est pas tant la rencontre en elle-même, qui
est magique, ce sont ces instants inégaux, illégaux, subtilisés à l'égrenage de
l'horloge. Un temps, un temps.
Il
semble qu'il s'agisse d'une connexion impermanente de sens, mais imperméable de
raison. Dont l'identification diffère selon l'acteur. Il reste un point commun,
doucement irrationnel. La sensation. Une sorte de chimie interne transitant par
le corps pour achever sa transfiguration dans l'esprit. C'est cela, une
mutation impalpable des cellules dont le retour se fait sur la vision que l'on
a de l'environnement. Sa préhension et son appréhension. Une sorte de curiosité
instantanée qui se marque après, avec toute la difficulté de son expression.
Le
magique tiendrait d'une impression. L'impression de soi dans un oubli, où la
coque n'est plus sur la mer, mais partie intégrante de la mer. Où jusqu'à la
cale il n'y a plus d'éléments cloisonnés, nommables, mais tout a un seul nom
qui ne se prononce pas. Qui n'a pas besoin d'être prononcé. Chacun des contours
n'en est plus un, solidaire d'un espace où tous les intérieurs se touchent sans
extérieur. Un espace où l'être ni plus ni dedans ni dehors, mais avec.
Fugacement. Où l'ensemble fragile est presque solide, tangible dans son
éphémère. Et c'est sa fin qui le réalise.
Après
avoir tant battu la campagne, à présent je bas les pages. Elle me le rendent...
Je me demande souvent si, si j'arrêtais d'écrire, serait-ce comme si je rendais
les armes ? Rendais l'âme ? L'âme ainsi aurait besoin d'armes,
alors... Est-ce pour cela qu'elle nécessite de se battre ? La possession
est donc une bataille. La dépossession serait une victoire. Comme si c'était
une guerre... Mais il y a bien une certaine violence, une violence en soi à
vouloir nommer ce qui fuit, nommer ce magique insaisissable. La conquête
impossible de ce qui est passé. La conquête égoïste de l'ailleurs, de l'autre
qui parle en soi. Et son don dans le triomphe de soi. Avec ou sans bibliothèque.
On n'a pas besoin de bibliothèque, pour disparaître.
Oui,
ça commence souvent de la même façon. Les rencontres, globalement, dans tous
les sens et ses acceptions. Et parfois se produit un quelque chose de magie, un
temps. Mais ça, ça ne fonctionne que d'une sorte, ça ne procède que d'une
manière. Quand on tient la distance. Quand on se tient à distance. Mais pas
trop, et pas sûr...
Cédric Bernard
Magiques...
ReplyDeleteces mots en vague
lus au sortir
de la nuit
viennent s'échouer
au soleil
naissant...