Thursday, May 31, 2012

FPDV N°27 L'OEIL

Murmure

 Il ne se tenait à rien. Il se tenait toujours là. D’un bloc, debout, rivé vers on ne sait quoi près du canal gris lui aussi. Il y passait ses journées et ses nuits infatigables. Devant lui, des chiens promenaient leurs maîtres, des jeunes gens casqués parlaient fort. Il aurait aimé entendre ce que disaient leurs casques dernier cri. S’ils diffusaient les nouvelles du monde qui va mal, un concerto plein de cordes auxquelles s’accrocher, des riffs de rock...  

Elle se tenait de l’autre côté du canal, toujours là, sous le soleil, la pluie, la lune. Fidèle comme un roc, en apparence impassible alors que sur elle venaient s’épancher quelques « amis » du quartier. Il y avait cette femme qui marchait, les dents serrées, s’écorchant les mains contre elle. Et aussi le petit garçon qui ne déboulait jamais en même temps que la femme. En silence, il jouait au ballon de foot.

Ils ne faisaient que se regarder, chacun de son côté du canal, incapables de faire un pas vers l’autre. Ne pas savoir nager n’était pas une excuse. Les bottes de sept lieues n’avaient sans doute jamais existé… Les oiseaux, les bourdons, les poussières et les autres y arrivaient bien. Les bouts de bois, les nuages, le vent…

Un soir, il sentit la caresse des adolescents et se laissa faire, sans rien dire. Au matin, quand elle se réveilla en face, elle le vit enfin sous un nouveau jour, paré de couleurs, paradant immobile et muet. Plein de motifs, de rouge, de bleu, de vert, d’argent, plein de mots qu’elle ne comprenait pas mais qui étaient peut-être d’amour.

Et puis, l’enfant arriva à nouveau, à ses pieds à elle. Seul, comme d’habitude. Même pas avec son ballon.

« Il paraît que les murs ont des oreilles, alors si je te dis que je n’aime pas mon père, qu’est-ce que tu vas en penser ? » demanda-t’il. « Ah oui, bien sûr, tu ne peux pas parler… »

Elle se demanda comment il savait, parce qu’elle avait toujours imaginé qu’aucun humain ne croyait réellement à cette phrase qu’ils prononçaient chaque fois avec un rire en coin, ou au moins une fossette.

Elle aurait voulu le réconforter, lui dire que ce n’était pas sa faute à lui, qu’il n’était sûrement pas un mauvais fils. Parler un peu d’elle aussi. Enfin, de l’une de ses voisines à elle, presqu’enfin morte de chagrin alors qu’elle avait vue, depuis des années sur un bouquet de fleurs qui embaumait l’atmosphère. Des roses, gerberas, lys, giroflées, parfois des camomilles ou des orchidées, surmontés d’un ruban qui, inlassablement, saluait ces jeunes résistants, fusillés.

Evidemment, elle ne put rien dire. L’enfant la regardait malgré tout avec insistance. Il mit ses petits doigts sur elle et en arracha quelques graviers, prêts à tomber de toute façon. Il s’essuya les yeux qui ne pleuraient pas. C’était le vent. Il jeta les graviers dans le canal. « Abracadabra, je t’ai transformé en presque-sable pour que tu ailles jusqu’à la mer. » Il repartit en courant.

Le mur d’en face qui n’en pouvait plus de voir sa belle mélancolique sans pencher vers elle malgré ses efforts, se concentra tellement qu’il expulsa trois cailloux de son ventre. Après tout, s’il s’effondrait, il s’en foutait. Le désir était devenu trop fort. Il attendit le soir pourtant. Les ados revinrent, comme toujours. Son plan fonctionna à merveille : ils s’emparèrent des trois cailloux pour un concours de ricochets. L’un d’entre eux coula à pic rejoindre les graviers lancés un peu plus tôt par le petit blond aux yeux de ciel. L’univers liquide serait sûrement plus porteur pour eux. Enfin, ils seraient mouvants, mouvementés, aimantés.


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