Tuesday, December 7, 2010

FPDV n°10 marlène tissot

Round Up

Elle caresse du bout de l’orteil la moquette tondue.
Il y a trop de poils, beaucoup trop de poils sur ses mollets. Elle les rebrousse du plat de la main. Comment ont-ils fait pour pousser aussi vite ? Penser à désherber. Les aisselles aussi. Les sourcils. La moustache.
D’où vient ce putain de besoin d’être lisse ?
Elle aimerait pouvoir défricher dans sa tête. Déraciner les mauvaises pensées envahissant les plates-bandes de la raison. C’est quoi exactement la raison ?
Elle se trouve plutôt raisonnable en y songeant. Elle a juste peur de tout. Peur de l’air qu’elle respire. Peur des trucs qu’elle bouffe et qui vont finir par lui filer le cancer. Peur de perdre un jour le boulot qu’elle n’arrive pas à trouver. Peur de ce qu’elle voit à la télévision et surtout de ce qu’on n’y montre pas. Peur des gens, de leurs regards. Peur de pas réussir à fermer sa gueule quand il faudrait, ni l’ouvrir quand elle devrait…
Elle a l’impression de conduire sa vie sans permis, sans papier, les yeux bandés. Elle appuie sur l’accélérateur en espérant qu’un mur s’approche. Mais elle se retrouve juste en panne sèche au milieu de nulle part. Dans une plaine aride ou même les rêves ne poussent plus.
Elle trouve que le monde sent mauvais. Que tout se barre en couille.
Faut prendre le mal à la racine. Voilà ce qu’elle se dit.
Elle débouche la bouteille et la vide cul-sec. Un demi-litre de round-up.
Ça lui réchauffe l’intérieur. Ça lui brûle les tripes. Elle se dissout tout doucement.
Presque en silence. À peine un gargouillis.
Elle n’a plus de poils sur les mollets.
La moquette recommence à pousser.


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